11. mars, 2021

LES TROIS SAUMONS

 LES TROIS SAUMONS

 

 Le premier plat qu’il m’ai venu à l’esprit de cuisiner est le dernier plat que mon père et moi avons partagé ensemble, dans mon appartement au Brésil après ma soutenance de Doctorat, un peu avant sa mort. Depuis j’ai fait un saumon ou l’autre mais je n’ai plus jamais assemblé les pièces de cette recette de Paul Bocuse. Ce matin armée de courage et d’inspiration J’ai plongé dans la réalisation de ce plat à pleines mains, méthodiquement, avec application. Une fois le saumon frais enroulé dans le gravalax, j’ai parsemé les œufs de caviar rouge, symboliques œufs de saumon et dressé l’assiette.

J’ai photographié toutes mes étapes. Puis j’ai frappé chez ma voisine, surprise et encore mal réveillée et lui ai offert mon joyau, enrobé de souvenirs et allégé du sel et de la sauce rosée. Nous avons convenu hier soir que je ferai mon bénévolat en lui faisant la cuisine en remerciement pour tous les marchés qu’elle a fait avec son fils pour mon mari et moi lorsque nous étions confinés ensemble. En suite j’ai fait la vaisselle, rangé les ustensiles, et fondu en larmes d’avoir pu faire le trajet sans lui. Mon père me manque cruellement parfois, mais je ne m’y attarde pas.Les trois saumons m’ont indiqué le chemin vers lui de façon douce et heureuse. De bonnes larmes longtemps retenues sont venues laver la douleur de ne plus vivre nos têtes à tête gastronomiques dans les meilleurs restaurants de la ville.

  Ce jour-là dans mon appartement j’ai voulu lui rendre hommage… Je le savais très souffrant et fatigué, nous avons eu un moment d’une rare intensité et d’une complicité profonde. Sa voix résonne encore dans ma tête ce matin. Les saumons remontent la rivière à contre-courant pour pondre leurs œufs.  Ainsi Il leur faut une énergie immense pour se reproduire, cette énergie qu’il nous faut parfois trouver lorsque rien ne nous aide sinon la force de la nage dans les eaux nouvelles. L’âme de mon père court dans mes veines pour faire face aux courants contraires. Le jour s’est levé en moi, tandis que je cuisinais.  Bientôt à l’hôpital je rejoins mon mari pour des examens, forte de la voix de ce navigateur intrépide qui éclate dans mon DNA.Il a souvent osé aller à contre-vent car sa valeur première et dernière, fermement transmise était notre liberté. Et c’est ainsi que j’ai recommencé  à faire la cuisine.